Genre, Sexualités & Travail Social

Comprendre et intégrer une approche-genre dans le travail social

TRAVAIL SOCIALPOLITIQUEINTIMITÉSEXUALITÉS

Romane Faure-Mary

5/23/202310 min read

Qu'est-ce qu'une "approche genre" ?

Posture d'écoute active

Introduction aux enjeux du genre - publics vulnérabilisés

Focus éduc'sex'

Focus violences relationnelles

Cet article est une suite et synthèse d'un cours donné à des étudiant-es en éducation spécialisée (Institut du travail social, mai 2023). Il reprend les grands thèmes abordés lors de l'intervention et propose de nombreuses références pour approfondir les questionnements et/ou pouvoir s'y référer pour répondre aux terrains. L'intervention de 3 h est construite à partir d'expériences vécues. Romane Faure-Mary, médiatrice à Hélices, utilise ses compétences et vécus de terrain pour questionner les apprenant-es sur : leur rôle dans l'éducation à la vie affective et sexuelle, sensibiliser au genre et prévenir les violences (affiner les diagnostics sociaux et les prises de risques).

Cet article sera amené à évoluer au fur et à mesure du temps et des divers retours faits par les travailleur/euses sociaux (en devenir ou actuel-les).

Définition du "genre" : Le genre est un ensemble de comportements (physiques, sociaux, caractériels, ...) que l'on attribue à une personne en fonction de son sexe biologique. C'est une construction sociale qui change en fonction des époques et géographies. Lorsque l'on parle de "stéréotypes de genre", on dénonce le côté arbitraire du lien sexe/genre. Sexe biologique : féminin, masculin, intersexe - Genre : "femme" "homme" "non-binaire" ...

Travailler avec une "approche genre" c'est inclure dans l'ensemble des projets, une attention aux rapports de pouvoirs que crée le genre. A l'inverse, une "inclusion des femmes" viendrait simplement ouvrir un chapitre particulier dans un thème plus large. Ex : Guide de santé des personnes migrantes (chapitre 5 - Les besoins spécifiques des femmes).

Le genre (ensemble de comportements sociaux, construits) crée des hiérarchies. ex: femme - / homme + / intersexe (invisible)
Le genre s'imbrique dans d'autres rapports de domination (la classe, la localité, l'âge, la santé, la couleur de peau, orientation sexuelle...). Ex : femme japonaise perçue comme plus passive qu'une femme d'Afrique-noir (souvent hypersexualisée) ; un homme (perçu comme) gay / un homme (perçu comme) hétérosexuel n'a pas le même vécu du harcèlement de rue

Travailler le genre, n'est donc pas ouvrir une annexe dans un projet "Education thérapeutique des personnes vivant avec un handicap moteur", mais bien inclure une attention particulière à chaque étape du projet. Chaque proposition doit alors questionner les possibles biais (qui rédige le projet ? quels sont ses privilèges sociaux ou regards spécifiques de l'auteur/trice ?).
C'est identifier les points de différences, de vulnérabilités ou de possibilités liés au genre (son sexe biologique, le comportement de genre, sa sexualité, ...) de la personne. (un homme racisé homosexuel dans un foyer d'hébergement d'urgence. Quelles vulnérabilités ? besoins spécifiques ?).

La loi française prévoit plusieurs séances d'éducation à la sexualité par an, dès l'école primaire. Cette loi n'est pas respectée par les établissements scolaires.

Le peu d'heures dédiées (souvent en 4e et 2nd) se concentrent sur une prévention des risques et des explications anatomiques (centrées sur la reproduction).
Hélices milite pour une éducation positive à la sexualité. C'est-à-dire une approche qui passe d'abord par l'éducation au consentement, au plaisir, à la compréhension de son corps (actuel, futur), aux relations saines et à l'identification des signes de violences intimes. La question des informations telles que la contraception, les IST, l'IVG est certes essentielle, mais devrait se faire en parallèle et peut aussi passer par de la transmission de documentations (si nous sommes dans l'obligation de prioriser).

Les violences relationnelles (amicales, amoureuses, intimes) arrivent à tous les âges et dans tous les milieux sociaux.
Être en migration, en foyer, à la rue, porteur/euse d'un handicap, dans des relations LGBT..., n'excluent pas ce type de violence, voire les favorisent dans la mesure où il y a en plus un contexte de vulnérabilité sociale qui favorise l'invisibilisation de ces violences.

Structure : cidff, filaction, viffil, planning familial, france victime

Initiatives possibles :

  • afficher clairement la possibilité de parler de violences relationnelles, sexuelles dans les locaux (si on ne le visibilise pas, on sait que les publics ne se sentiront pas autorisés à le faire)

  • essayer de rencontrer les personnes seules, et rester en alerte si le/la/les conjoint-es parait-ssent envahissant-es

  • rester attentif/ve aux signes de repli sur soi, d'évitement, absentéisme, dénigrement de soi, de sursauts...

  • rester dans une écoute active*, rester en lien avec la personne même si elle ne se sent pas encore prête à sortir de cette situation de violence, respecter le pouvoir d'agir*

  • s'orienter vers des structures spécialisées (viffil, filactions, france victimes, planning familial) pour penser et organiser un départ de relation et un accompagnement spécifique, et travailler/rencontrer en amont ces structures

Ne pas oublier que les violences intimes n'arrivent pas qu'aux autres. La violence commence rarement par une gifle, et s'inscrit dans le temps de façon crescendo. Il est important de questionner son propre curseur de ce que l'on considère comme une violence (absence de consentement).
Être exposé à des violences extrêmes de façon quotidienne, peut anesthésier sa propre analyse des violences quotidiennes. Tout comme il y a des situations de violences dans toutes les couches de la société, c'est aussi le cas (en tant que victime ou agresseur/se) auprès des travailleur/ses sociaux, des forces de l'ordre, des soignant-es, des acteur/trices de justice, ... Il est possible d'agir dès les premiers signes, ou premiers doutes.

En tant qu'écoutant-e, médiateur/trice, accompagnateur/trice..., adopter une "écoute active" permet de (re)valoriser la parole de l'autre, de renforcer son estime et la confiance dans la relation. Le principe fondamental est celui de se positionner comme "recevant-e" un message, et non pas d'écouter l'autre dans le but de chercher à lui répondre. C'est écouter l'autre sans réfléchir en même temps à des solutions/arguments, comme lors d'un débat ou d'une conversation.
L'écoute active encourage le pouvoir d'agir* (=empowerment) de la personne. Son récit n'est pas confisqué par une analyse "d'expert-e". La majeure partie du temps les personnes connaissent les solutions pour sortir d'une situation difficile, mais ont besoin d'être écouté, de recevoir du soutien émotionnel et empathique en attendant d'être prêt-e à agir. Agir à la place de l'autre, pour l'autre, ou pousser une personne à agir (trop vite) fera perdre de la confiance en soi à la personne concernée. Elle se sentira assistée, infantilisée et non respectée dans sa propre temporalité, priorité. Parfois même, ce non-respect de la temporalité pousse la personne à retourner dans la situation difficile du départ, car elle n'était pas prête.

Ex : Une personne qui est dans une situation de violence (d'emprise) sait que la solution est celle de partir (entre autres). Insister fortement (parce que pour nous, en tant qu'écoutant-e, cette situation nous paraît insupportable) c'est mettre en péril la capacité d'agir, la responsabilité de la personne écoutée (la personne sera plus susceptible de retourner dans la situation violente). Une écoute active serait de lui demander ce dont elle a besoin maintenant, sans juger de ses priorités par nous-mêmes, et de travailler (en supervision, analyse de pratique) sur ce que nous fait vivre l'accompagnement de cette personne (pour travailler sur ses biais sociaux, ses rapports de pouvoirs).

  • empathie : chercher à comprendre ce qu'exprime, ressent l'autre

  • reformulation : sans interpréter, essayer de reformuler les thèmes généraux pour vérifier que l'on a bien compris (la personne se sent écoutée, éclaircir les propos, recadrer l'échange)

  • posture d'ouverture : faire attention à sa communication non-verbale (langage adapté, posture physique ouverte, attitude patiente), utiliser des questions ouvertes

  • handicap (planning familial, frisse)


Souvent le handicap est un prétexte à l'invisibilisation de la sexualité des personnes, il y a une vulnérabilité particulière à ce titre. Les personnes porteuses de handicap ont une sexualité et une vie affective (qu'on veuille la voir ou non) et ne pas s'en soucier, c'est laisser une porte ouverte aux violences : comprendre les enjeux de santé sexuelle, connaître son corps, consentir aux moyens de contraception proposé, dire son consentement, verbaliser des situations de violences (avec d'autres personnes ayant un handicap, avec des accompagnant-es, avec la famille, ...).

  • travail du sexe (cabiria, prostbioz, strass, frisse)


En France la prostitution est légale, mais ce sont l'ensemble des activités qui gravitent autour de cette activité qui sont illégales : acheter des services sexuels, diffuser une annonce, héberger des services, utiliser l'argent issu de ce service, travailler en collaboration, assister/aider ce service, ... Cette légalisation précarise les travailleur/euses du sexe (ou prostituté-es) et crée des rapports très conflictuels avec les forces de l'ordre. Les conditions de travail dégradées poussent les TDS à s'isoler dans leur pratique et à s'éloigner des réseaux de santé. C'est pourquoi les actions de santé communautaire sont des espaces primordiaux pour les TDS. La santé communautaire est un courant de pratique fondé sur le "par et pour", qui permet de redonner du *pouvoir d'agir aux personnes concernées, et d'agir au plus près des besoins spécifiques du terrain.

Les organismes de santé communautaire et les féminismes "pro-sex" défendent la séparation de ce qui relève du "travail" et de "l'exploitation" (trafic, traite). Ainsi, il ne s'agit en aucun cas de nier les réalités de violences vécues par les personnes (dans leur histoire, dans leur pratique). L'accent est mis davantage sur le fait que ce qui précarise et violente les TDS ce sont les lois qui imposent des conditions de travail dégradées, et de lutter contre des stéréotypes tels que : la majeure partie des TDS ne choisissent pas leur activité et sont dans des réseaux de proxénétisme.
Il est essentiel de répondre aux besoins des personnes rencontrées, quelles que soient leurs conditions de vies et de travail, et ce, sans juger à leur place de ce qui leur est souhaitable ou non (même si cela nous choque). Il est possible et souhaitable d'accompagner une personne à faire une autre activité, si elle le souhaite tout comme il est possible et souhaitable d'accompagner une personne à trouver des meilleures conditions pour travailler.

  • migration (planning familial, 2MSG, ospere samdara, frisse, GAMS)


Les publics issus des parcours de migration sont très divers et chaque étape comporte ses enjeux sensibles. Les crimes sexuels sont très présents sur "la route", mais il est aussi tout autant risqué pour une personne d'être exposée au VIH en France que lors de son parcours. La précarité administrative éloigne fortement du soin et des structures médico-sociales déjà en sous effectif. L'interculturalité crée de nombreuses incompréhensions entre les pairs mais aussi avec les professionnels du medico-social, c'est le cas particulièrement dans les foyers d'accueil, pour les soins, la justice, les nouvelles rencontres (amoureuses)... Ajoutons à cela le faible recours aux interprètes-médiateurs, ce qui accentue une certaine barrière linguistique.
Les personnes lgbtqia+ sont encore davantage vulnérabilisées.

  • carcéral


Les pressions vécues ou produites par les personnes incarcérées ne s'arrêtent pas aux portes de la prison. Il est possible que des situations d'emprise se perpétuent, notamment dans des situations de violences relationnelles/familiales. L' exposition aux IST, dont le VIH entre détenu-es (pratiques sexuelles, tatouages, injections), est également possible avec les visiteur-euses. Les "parloirs" ou appartement d'accueil sont des lieux où la sexualité existent. La prison expose à de nombreuses précarités citées plus haut : violences sexuelles et sexistes, manque d'accès au soin (notamment pour les femmes), difficulté de maintien des liens amoureux et parentaux (grossesse pendant la prison), quasi-absence de suivi psychologique ce qui ne favorise pas la reconstruction ou la compréhension des violences subies ou exercées.

  • grande précarité (médecins du monde, au tambour, samu social, 115)


La grande précarité s'inscrit notamment dans un manque d'accès aux besoins vitaux tels que les soins, le logement, la nourriture. Nous y retrouvons une perte importante de l'estime personnelle. Cette estime passe aussi par la possibilité d'avoir une intimité, chose quasiment impossible dans la rue. Les femmes sont particulièrement exposées à une précarité accentuée par la difficulté d'avoir accès à une santé menstruelle, sont davantage victimes de violences sexistes et sexuelles. Les lieux d'accueil sont la plupart du temps des lieux de mixité, ce qui freine la présence des femmes ayant vécu ce type de violences (ex. bains, douches publics).

Romane Faure-Mary
insta : @romane.faure-mary
blog Médiapart